Derriere le tableau noir
Ce qui va suivre n’a rien d’une envolée lyrique… On devrait plutôt s’imaginer
un nuage de poussière de craie dans lequel je trouverais confort, légèreté et
énergie. Oh tout de suite vous pensez à la drogue ! Mais noooon, je vous
parle des effets de mon nouveau rôle de professeur de français à l’université.
Vous voulez du concret ? Trois cours d’une heure et demie à la suite, à
des élèves de niveau intermédiaire, le mardi et le jeudi… Trois mêmes cours,
donc, à des enfants d’une moyenne d’age de 18 ans… 65 enfants au total, ça consume
beaucoup de bâtons de craies, de volume vocalique et d’énergie volcanique.
Mais enseigner à l’univers(-ité) revient surtout à se confronter à des
problèmes d’origine technique et de nature pragmatique… Car là-bas comme dans
Les temps modernes, tout se suggère, rien ne se dit… Ca doit donc aller de soi,
le fait de faire les poubelles des salles de classe pour se réapprovisionner en
bâtons de craie, de courir au huitième étage chercher ses feuilles de présence,
de connaître et reconnaître ses 65 enfants au bout de deux jours, de laisser
tomber mes tissus aux papillons psychédéliques pour m’habiller
« formel »… Et pourtant la liberté y est telle que je m’y sens
pousser la barbe… ou des ailes, pour ne pas me répéter.
Le plus surprenant, tout de même, c’est la modernité du lieu… Manille
et on imagine de suite des dizaines d’élèves agglutinés autour de quelques
rares pupitres sous un ventilateur grinçant… (ah non, ça c’était a Padang….)
Mais ici, la classe n’a pas de prix ! Mes enfants portent le tailleur, les
salles de cours sont équipées d’objets qui semblent extra-technologiques et on
n’y mélange pas les trognons de pomme avec les canettes de coca vides (ou les
résidus de craies, ma chance !)… « Poubelle la vie » Tambah ;-)
Mais finalement, le meilleur ne réside même pas encore la… Il se trouve
partout autour… et cela s’appelle Manille, ou plus communément l’Asie. Le
quartier de mon université m’extirpe enfin des rues impersonnelles de ma ville
et m’emmène rêvasser des minutes durant le long de vendeurs de beignets de
bananes, d’épis de maïs bouillis, de boulettes de poulpe frites, sur les
trottoirs sales et piégeurs des rues animées. Le soleil y est plus franc, le
philippin plus goguenard, la densité plus vaporeuse, le bruit plus joyeux. La
petite musique du vendeur de glace a bicyclette me ramène quatre ans en arrière
dans mes souvenirs indonésiens (Tambah, écoute « tududu, tududu,
tudududududu ») et la sérénité du moment me fait dire que je suis encore là :
au bon endroit, au bon moment…