Page blanche et tableau noir
Déjà un mois que j’ai repris en mains l’éducation de ma progeniture et hélas, quelques-uns se sont deja perdus en route! Il faut savoir qu’aux Philippines, l’apprentissage du français relève souvent d’une initiative personnelle mais bien plus encore du fantasme. Comme si parler le français allait vous développer par magie une aura charnelle et romantique, vous faire pousser la baguette sous le bras, vous embaumer de Chanel No5 et vous donner un ticket pour la Tour Eiffel.
Certes, parler français, c’est épouser des clichés mais c’est aussi prendre pour époux le traître qu’on n’avait pas soupconné derrière le beau parleur. Parce qu’apprendre à parler français, c’est par exemple… ne pas comprendre pourquoi la prononciation de 96 doit s’expliquer par 4*20+16 (à justifier par l’appétence française pour la Médaille Fields peut-être…) Pourquoi « fromage » est-il un garçon ? Pourquoi dit-on « au Canada » mais « à Madagascar » ? (ce sont deux pays masculins pourtant !) Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ??? « Je ne compwends pas pwofesseuw ? ». Rrrrr, on dit prrrofesseurrr !
Oh Seigneur, notre langue d’exception va tuer mes enfants ! Trois d’entre eux sembleraient en pleine crise linguistique. Survivront-ils au marasme de la langue qui fourche et du cerveau qui déraisonne ?
Pour mes (18 – 3 = 15) quinze mômes restants, c’est la Maison du Bonheur. Mais attention, je prends mon rôle de mere castratrice très au sérieux. Si nous jouons, ce n’est qu’un prétexte pour apprendre ! Et enseigner le FLE (français langue étrangère), ce n’est pas noircir un tableau de règles grammaticales mais plutôt donner des indices sur un parcours fléché pour les mener à leur propre déduction des règles… Subtil hein… ? ;-) C’est encore Amélie Poulain au pays des mots piégés.
Et comme dans une couvée de poussins, il y a forcement un petit piou-piou qui sort du lot dans le nid. Ainsi nous appellerons Poussinette celle qui, de son plus beau ramage, met le feu au poulailler. Car Poussinette, c’est quand-même un star du plumage dans la capitale. Elle trône, tel Lagerfeld made in Philippines, sur un des panneaux géants d’EDSA, la plus grande avenue de Manille. Et comme la Terre est bleue comme une orange et que Manille tient en un pépin de pomme, il fallut que je rencontrasse Poussinette à ma soirée Manila Sky… Le défi fut alors de garder toute ma crédibilité (et mes chaussures) de mere-grammaire malgré les velléités de bamboula. Résultat : nul. Un point partout. Poussinette, sur son nid perchée, ne perçut pas les zig-zag de la professeur envolée…